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Marseille, crise de l’habitat indigne (2018-2019) : initiative de suivi collaboratif des évacuations et relogements

Marseille, crise de l’habitat indigne (2018-2024) : le suivi collaboratif des arrêtés de périls, des évacuations et relogements (collaboration entre chercheurs, collectifs et institutions)

Le 5 novembre 2018, deux immeubles anciens du centre ville de Marseille s’effondrent sur leurs habitants à deux pas du Vieux port, faisant huit victimes. Le drame déclenche des milliers d’évacuations, imposant des mesures de grande ampleur pour lutter contre le logement indigne et provoquant des déplacements durables d’habitants à Marseille (voir la page).  Le procès de cet effondrement s’est tenu au tribunal correctionnel de Marseille en nov-dec 2024 (verdict en délibéré jusqu’au 7 juillet 2025) montrant, face aux victimes du drame, l’implication d’un système d’acteurs urbains publics et privés (propriétaires, architectes, experts, syndics). Cette crise urbaine n’est pas encore résolue en 2024.

2018-2019 de la solidarité à la mobilisation autour des délogés/évacués : de la carte collaborative des évacuations à la charte du relogement

Face à l’emballement des signalements d’immeubles et des évacuations, l’initiative d’une cartographie  des arrêtés de péril est lancée dès fin 2018 par les géographes du LPED, en collaboration avec  le journal Marsactu qui a créé une animation accessible en ligne à partir des données fournies par le Lped [https://marsactu.fr/cest-mon-data-chronologie-dune-vague-de-perils/].
A partir de décembre 2018, une MOUS relogement est mise en place, associant Ville, Etat, métropole à des opérateurs privés (SOLIHA).
C’est face à la carence et l’imprécision des données publiques sur les trajectoires des ménages évacués et relogés,  qu’un outil  de suivi indépendant est élaboré au LPED (Aix  Marseille Universtié) en collaboration avec un développeur informatique bénévole (Datas-Collect), en lien avec l’Association Un Centre Ville Pour Tous et la Fondation Abbé Pierre. Cette veille cartographique s’appuie sur les données des permanences d’accueil bénévoles de l’Assemblée des délogés et de la Commission des délogés du Collectif 5N, et de l’association Marseille en Colère. En 2018 et 2019, des cellules de crise bénévoles de ces collectifs soutiennent et accompagnent sans relâche dans leurs démarches d’accès aux droits environ 500 ménages évacués, elles restent actives à ce jour [2].

Ce travail d’enquête directe, réalisé selon les règles de l’art scientifique (questionnaire, géoréférencement, saisie,  vérifications, validation)  a démarré en  février 2019, il concerne la période de novembre 2018 à aout 2019.  Après avoir conçu et construit l’outil  en collaboration avec les associations (décembre-février), défini le cadre déontologique de la démarche (respect de l’anonymat des ménages, confidentialité), il a été possible, avec l’appui d’étudiants géographes, de  cartographier  et de documenter les trajectoires d’une partie de ces ménages.

1. Domiciles d’origine de 368 ménages évacués suivis par le Collectif du 5 novembre et Marseille en Colère, Marseille nov 2018 – aout 2019.  (Observatoire MeC, C5N, CVPT, FAP, LPED).

La démarche, basée sur  de nombreuses rencontres avec les associations et des habitants évacués, a été volontairement tenue discrète. Les participants s’y étaient engagés, dans un contexte politiquement très tendu, afin d’éviter toute instrumentalisation des observations qui concernent 368 ménages sur les 500 environ référencés par les collectifs et associations (ceux pour lesquels les associations disposent d’une information suffisante). Ce dispositif collaboratif de “veille cartographique” a été rendu public  lors d’un entretien collectif auprès du journal MARSACTU  le 5 juillet 2019 au moment de la signature de la “charte du relogement”, dans le but d’obtenir un accès aux données publiques.

  • Estimer les personnes impactées : une première cartographie  des évacuations d’urgence et des relogements :  un travail collaboratif entre universitaires, la Commission des délogés du Collectif 5 novembre et l’association Marseille en Colère, en lien avec Un Centre Ville pour tous et la Fondation Abbé Pierre [présentation de l’initiative ici, par le journal Marsactu]
En septembre 2019  les 368 ménages dont les trajectoires sont directement suivies par les collectifs et associations représentaient 955 personnes déplacées,  554 adultes, 309 mineurs de 4 à 18 ans,  72 enfants  moins de 4 ans (dont 11 naissances pendant l’hébergement en hôtel).  Le suivi des associations s’est concentré sur la gestion du quotidien des personnes évacuées et la défense de leurs droits. Les permanences bénévoles d’accueil et d’aide aux évacués mise en place par ces associations ont complété le service public pendant sa mise en place, notamment en s’adressant aussi aux ménages sans droits ni titres[3].

Jusqu’en novembre 2019,  et malgré une amélioration suivant la signature d’une “charte du relogement des personnes évacuées” (cf. ci dessous), certaines évacuations ont continué à être diligentées par la Ville sans arrêté officiel (l’arrêté venant parfois plusieurs jours après l’évacuation).

Des habitants ont été évacués par les marins pompiers et la police en quelques dizaines de minutes, disposant d’une seule brève visite sous escorte pour récupérer quelques objets de première nécessité. Les personnes ont alors été orientées vers des hôtels réquisitionnés et payés par la Ville.
Dans l’impossibilité de cuisiner,  les ménages étaient reçus dans une “cantine” d’urgence mise en place par la Ville sur la Canebière.

2.Les 441 hébergements temporaires successifs (hôtels et appart’hôtels) des ménages évacués suivis par le Collectif du 5 novembre et Marseille en Colère, Marseille nov 2018 – aout 2019 (Observatoire MeC, C5N, CVPT, FAP, LPED).

Sous la pression des collectifs, nombre de familles ont ensuite été placés dans des appart’hotels permettant la préparation de repas et un semblant de vie familiale. A la rentrée d’automne 2019, faute de données publiques complètes, la carte montrait  368  domiciles d’origine  de ménages suivis par les associations, évacués depuis le 5 novembre 2018 (avec ou sans arrêtés de péril), leurs 441 hébergements temporaires successifs (hôtels, appart’hôtels), puis les appartements proposés en convention d’occupation provisoire.

  • les hébergements d’urgence (hôtels et appart’hôtels)
Pour les locataires évacués dans le cadre d’un Arrêté de péril (ce qui est la voie légale ), l’hébergement incombe légalement au propriétaire bailleur, le temps de réaliser les travaux prescrits.  Nombre de propriétaires ont assumé correctement  ce devoir. Mais les défaillances  sont nombreuses, soit par incapacité, soit par mauvaise volonté. Sous la pression des associations, la Ville a assuré le relais de l’hébergement temporaire – à charge pour les propriétaires de rembourser. Les travaux de sécurisation indispensables aux “réintégrations” dans le domicile ont souvent tardé. Ainsi, nombre de  séjours forcés en hôtels ont duré de plusieurs semaines à plusieurs mois, dans l’attente de la mise en sécurité des immeubles.  A l’été 2019, nombre de ménages n’avaient toujours pas pu regagner leur domicile initial, ni récupérer meubles et vêtements, ni être relogés. Beaucoup  demeuraient encore, 1 an après, dans l’incertitude, en situation d’attente de relogement pérenne.  Selon les chiffres officiels, 142 ménages et 336 personnes étaient encore  “hébergés à l’hôtel” au 18 octobre 2019.

Par ailleurs, certains propriétaires ont fait réaliser des travaux bâclés,  insuffisants pour permettre une réintégration, réduits au strict minimum relatif à la sécurité, sans traiter l’insalubrité des immeubles (ou même en l’aggravant). Soucieux de rentabiliser la situation, certains propriétaires ont tenté de reloger leurs locataires dans d’autres logements tout aussi indignes.  Plusieurs ont tenté de profiter du relogement provisoire de locataires évacués pour détruire leurs affaires personnelles et relouer les appartements.  Plusieurs immeubles évacués ont été squattés, cambriolés en l’absence des habitants, et certains ménages évacués ont tout perdu. Habitants et associations ont lancé des procédures judiciaires. Très longues, certaines commencent tout juste à aboutir. Pendant des mois, le provisoire s’est prolongé pour les ménages les plus fragiles.

Faute d’accès aux informations publiques, les bénévoles des associations ont réalisé un travail de suivi quotidien dans les hôtels. C’est ainsi qu’a été réalisée cette cartographie, avec la

3. les trajectoires de 368 ménages suivis par l’association Marseille en colère et le Collectif du 5 Novembre (en jaune les hébergements en hôtels, en bleu les relogements provisoires en appartements).

collaboration des familles concernées : elle  montre qu’à part quelques hôtels très excentrés, surtout lors des premières semaines (La Valentine, l’Estaque), la plupart des hébergements provisoires ont été ensuite rapprochés du centre-ville. Mais pour des raisons logistiques, beaucoup des ménages non relogés ont du changer plusieurs fois d’hôtels, certains plus de 5 fois en quelques mois, cette instabilité accentuant le traumatisme initial.

2018-2019  : cartographie d’une année de données officielles
L’expérience de ces premiers mois a nourri la réflexion et les négociations autour de la 1ère charte du relogement des personnes évacuées,  signée en juillet 2019 entre l’Etat, la Ville et les collectifs. Le principe est d’aller plus loin que les obligations légales afin de protéger les ménages évacués qu’ils soient locataires ou petits propriétaires occupants.
La signature de cette première charte s’est accompagnée d’une diffusion rétroactive des données officielles d’évacuations et de relogements temporaires de cette première année de novembre 2018 à octobre 2019. Remises au Laboratoire Population Environnement développement, ces données officielles ont pu être traitées (bénévolement et sans cadre contractuel), afin de compléter les données issues de la cartographie collaborative menée avec les collectifs d’habitants. Elles concernent 1245 ménages soit près de 3000 personnes officiellement évacuées en un an. Elles ont ensuite été restituées à La Ville et à son opérateur de relogement dans le cadre de la MOUS relogement mise en place.

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Urbanicités (5 janvier 2025). Marseille, crise de l’habitat indigne (2018-2019) : initiative de suivi collaboratif des évacuations et relogements. UrbaniCités. Consulté le 20 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13dst


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